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Entretiens professionnels : « Comment transformer une contrainte en opportunité ? » (Cyril Parlant, Fidal)

Appelés à être réalisés par dérogation jusqu’au 30 juin 2021, les entretiens professionnels n’ayant pu se tenir en 2020 « sont inutiles », considère Cyril Parlant, directeur associé du pôle Économie de la connaissance du cabinet Fidal, dans une tribune publiée le 21 décembre 2020 par AEF info. Reste que la menace de devoir abonder de 3 000 euros chaque compte des salariés concernés par le non-respect des obligations liées à cet entretien incite les DRH à pousser leurs équipes à les mettre en œuvre, car la donne a changé avec la loi du 5 septembre 2018. Pour « professionnaliser » l’exercice, le juriste plaide pour un regain de négociation collective sur ce sujet, que ce soit au niveau de l’entreprise ou de la branche professionnelle, en proposant des pistes radicales pour dessiner l’économie générale d’accords collectifs ayant vocation à encadrer ces entretiens six ans après leur création.

« Les entretiens professionnels qui devaient se tenir en 2020 pourront être réalisés jusqu’au 30 juin 2021… dans le meilleur des cas, si la crise sanitaire est derrière nous. En pratique cela signifie que :

• Pour les salariés embauchés avant le 6 mars 2014, le troisième entretien professionnel qui aurait dû avoir lieu, au plus tard, le 6 mars 2020 pourra être réalisé jusqu’au 30 juin 2021.

• Pour les salariés embauchés entre le 6 mars 2014 et le 31 décembre 2014, le troisième entretien professionnel qui aurait dû avoir lieu entre le 6 mars 2020 et le 31 décembre 2020 pourra être réalisé jusqu’au 30 juin 2021.

• Pour les salariés embauchés en 2016, le deuxième entretien professionnel qui aurait dû avoir lieu en 2020, pourra être réalisé jusqu’au 30 juin 2021.

• Pour les salariés embauchés en 2018, le premier entretien professionnel qui aurait dû avoir lieu en 2020, pourra être réalisé jusqu’au 30 juin 2021.

• Pour les salariés embauchés entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2019, le premier entretien professionnel qui aurait dû avoir lieu avant le 30 juin 2021, pourra être réalisé jusqu’au 30 juin 2021.

ENTRETIENS INUTILES

Mais sans être Cassandre, on peut craindre que ces entretiens n’aient lieu en plein marasme économique ! Le meilleur moment, à n’en pas douter, pour des centaines de milliers de salariés d’évoquer leurs perspectives d’évolution professionnelle… Pour des pilotes de ligne de révéler leur vocation d’infirmier, pour des cuisiniers de s’imaginer plombier ou maçon, et pour les artistes de vendre du rêve par le truchement d’Amazon ! Et que dire des managers à qui on demande de toute urgence de tenir ces entretiens professionnels alors qu’eux-mêmes ne savent pas de quoi leur avenir sera fait.

Ces entretiens professionnels là sont inutiles, voire, sans véritable perspective professionnelle, générateurs de stress. Et pourtant, les Directions des Ressources Humaines s’activent pour que ces entretiens aient bien lieu et que « les états des lieux récapitulatifs » témoignent de leur comportement vertueux.

Mais pourquoi les entreprises (de plus de 50 salariés) se retrouvent-elles dans cette situation ? Parce qu’elles encourent une pénalité de 3 000 euros -qu’elles n’avaient pas vu venir- sous forme d’abondement du CPF des salariés qui n’auraient pas bénéficié des entretiens professionnels et au moins d’une formation dite « non obligatoire ».

Il faut rappeler que dans la loi du 5 mars 2014, la sanction consistait à abonder les comptes personnels des salariés concernés de 100 heures de formation supplémentaires ou 130 heures pour un salarié à temps partiel et à verser à son Opca une somme forfaitaire de 3 000 ou 3 900 euros.

À vrai dire, comme les Opca ne disposaient ni de pouvoir de contrôle, ni de pouvoir de contrainte, tout le monde se demandait, sans trop y croire, comment cette sanction pouvait être mise en œuvre, considérant que les Opca ne seraient pas très enclins à recouvrer cette pénalité.

SANCTION EFFECTIVE

Mais le dispositif mis en place par la loi du 5 septembre 2018 change singulièrement la donne et rend la sanction effective : l’entreprise doit s’acquitter spontanément de l’abondement punitif et peut faire l’objet d’une mise en demeure par les services de contrôle de la formation professionnelle au terme de laquelle la sanction peut être doublée !

Autrement dit, l’effectivité de la sanction apparaît nettement plus évidente. Mais pourquoi les entreprises se trouvent-elles en difficulté ? Sans doute pas à cause des éléments d’appréciation du parcours professionnel car les conditions semblent relativement simples à remplir sur six ans, soit l’accomplissement d’une formation non rendue obligatoire par un texte, soit un « doublé » Formation même obligatoire/progression salariale ou professionnelle, ou Formation/Certification ou progression/certification.

Non, en définitive, la difficulté vient, souvent, de la réalisation des entretiens professionnels.

POURQUOI CES ENTRETIENS NE FONCTIONNENT PAS ?

Parce qu’il est incongru de penser que tous les salariés ont besoin tous les deux ans d’un entretien professionnel ;

Parce qu’il est irréaliste de croire à des évolutions professionnelles tous les deux ans ;

Parce qu’il existe un dispositif de CEP (Conseil en évolution professionnelle) inscrit dans les principes généraux de la formation professionnelle, financé par les contributions des entreprises dont l’objectif est précisément de favoriser l’évolution et la sécurisation des parcours professionnels des salariés dans le cadre d’un cahier des charges qui assure le sérieux et l’efficacité de la prestation rendue et la confidentialité pour ses bénéficiaires ;

Parce que les managers en entreprise ne pourront jamais être au niveau des opérateurs du CEP pour évoquer les perspectives d’évolution, notamment en termes de qualification et d’emploi pour répondre à l’injonction législative ;

Parce que, enfin, ces entretiens professionnels sont frappés d’un vice originel puisque les managers ne peuvent pas s’appuyer sur l’évaluation du travail de leur collaborateur pour envisager leur perspective d’évolution ! Ce qui laisse perplexe bon nombre de responsables des ressources humaines en entreprise.

MAIS COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Par la volonté des partenaires sociaux qui ont inventé l’entretien professionnel en 2003 et lui ont donné corps dans l’ANI du 14 décembre 2013 et ont décidé de le distinguer de l’entretien d’évaluation.

Cette idée de non-confusion entre les deux entretiens a ensuite pénétré l’esprit du législateur en 2014 comme le montrent les travaux parlementaires sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale : « Concernant l’entretien professionnel, [la commission des Affaires sociales du Sénat] a mieux défini son champ en précisant qu’il ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié mais fait un état des lieux récapitulatif de son parcours (1). »

Cette distinction avait été également explicitée par le député Jean-Patrick Gille dans son propre rapport fait au nom de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale sur ce projet de loi (2) : L’entretien professionnel « ne doit pas être confondu avec les autres entretiens susceptibles d’être mis en place par les entreprises. Il en est ainsi de l’entretien d’évaluation destiné à déterminer les objectifs des salariés et à évaluer leur comportement professionnel. Ce rendez-vous, qui se tient le plus souvent selon un rythme annuel, porte essentiellement sur le périmètre d’activité du salarié, les résultats attendus de son travail, les compétences possédées, les compétences qui doivent être développées et parfois sur les souhaits ou les possibilités d’évolution ainsi que sur la rémunération. Il ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique.

L’entretien professionnel, quant à lui, permet à l’entreprise de disposer d’une synthèse des actions conduites en matière de gestion des compétences des salariés. À l’initiative du salarié ou de l’employeur, il doit conduire le salarié à élaborer son projet professionnel à partir de ses souhaits d’évolution dans l’entreprise, de ses aptitudes et en fonction de la situation de l’entreprise. »

POURQUOI CRÉER UNE OBLIGATION SUPPLÉMENTAIRE ?

Si l’idée de renforcer les droits des salariés dans une perspective de développement de l’employabilité et d’évolution professionnelle est parfaitement louable, on comprend mal pourquoi l’entretien professionnel ne pourrait pas se réaliser « en même temps » que l’entretien d’évaluation ou, plus précisément, après l’entretien d’évaluation d’autant que comme le reconnaît le rapporteur Jean-Patrick Gille, ces entretiens portent parfois « sur les souhaits ou les possibilités d’évolution ».

Dans ces conditions pourquoi créer une obligation supplémentaire au mépris de pratiques RH qui fonctionnent et surtout de l’assortir d’une telle sanction ? Ainsi, en appliquant le syllogisme législatif, si l’entretien sur les perspectives suit l’évaluation des compétences du salarié, alors l’entretien n’est pas un entretien professionnel et l’abondement punitif imaginé par le législateur serait est dû !

Est-il anormal, alors, de s’interroger sur le rôle du législateur dont la mission, en matière de droit du travail, est de fixer les principes fondamentaux (article 34 de la Constitution) et non de donner des leçons de gestion des ressources humaines ? D’autant qu’en la matière il existe un principe général énoncé dans l’article L.6321-1 du code du travail :

« L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail » et, surtout, « il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». La Cour de cassation se chargeant, comme elle le fait depuis 2007, de donner toute sa portée à cette obligation essentielle sans qu’il soit besoin d’enjoindre aux employeurs de réaliser des entretiens dits professionnels dégradés.

UN ANTIDOTE

En attendant une hypothétique réforme du texte ou son invalidation constitutionnelle, le législateur a mis à la disposition des entreprises un antidote, connu sous le nom de code L.6315-1 et dont la formule est : « Un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche peut définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d’abondement par l’employeur du compte personnel de formation des salariés. Il peut également prévoir d’autres modalités d’appréciation du parcours professionnel du salarié que celles mentionnés aux 1° à 3° du II du présent article ainsi qu’une périodicité des entretiens professionnels différente de celle définie au I. »

C’est donc dans la négociation sociale -et ce n’est pas pour nous déplaire- que les entreprises trouveront leur salut en négociant un accord innovant et « gagnant-gagnant ».

L’économie générale de ces accords pourrait être la suivante :

• Mettre en place une périodicité différente selon les profils et les emplois, par exemple : – 3 ans pour les publics fragiles ou les personnes occupant un emploi menacé ;
– 6 ans pour les salariés disposant de diplômes ou qualifications de haut niveau ;
– maintien de l’entretien de retour d’une longue absence.

• Créer un droit de solliciter un entretien professionnel, par exemple :
– au bout de trois ans ;
– Après un évènement particulier affectant la vie professionnelle ou personnelle.

• En contrepartie (obligatoire) définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d’abondement par l’employeur du compte personnel de formation des salariés, par exemple :
– L’entreprise abonde les comptes ouverts à hauteur de 500 euros tous les six ans. Les salariés ont la libre disposition de ces fonds dans le respect des formations éligibles au CPF.
– L’entreprise met en place un abondement individuel qui permet grâce, notamment, aux échanges menés lors des entretiens professionnels, à l’employeur et au salarié de coconstruire, des parcours de formation et de développement des compétences individualisés et de les cofinancer.

PARTICIPATION DE L’ENTREPRISE

Ainsi, le salarié qui souhaite utiliser son CPF pour suivre un parcours de formation destiné à obtenir une certification professionnelle pourrait demander à l’entreprise de participer au financement de cette formation dans les conditions cumulatives suivantes :

• Une formation en lien avec l’activité de l’entreprise ou avec les missions de la Direction à laquelle appartient le salarié ;

• La prise en charge de l’entreprise ne peut excéder la moitié du coût total de la formation ;

• Le salarié ne doit pas avoir déjà bénéficié d’un abondement individuel au cours des 3 années précédant sa demande,

• La formation doit être suivie au moins pour la moitié de sa durée en dehors du temps de travail. »

Cyril Parlant, directeur associé du pôle Économie de la connaissance du cabinet Fidal

  1. Rapport du 12 février 2014 de Claude Jeannerot au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat (pp. 9-19).
  2. Consulter le rapport de Jean-Patrick Gille enregistré le 30 janvier 2014 par l’Assemblée nationale.